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La première fois, je me souviens, j’avais six ans passés. Certains vous dirons qu’il est rare que l’on ait des souvenirs vraiment précis à cet âge-là mais j’ai toujours eu une excellente mémoire et pour ma part, je m’en rappelle aussi bien que de la jolie robe à volants roses que je portais ce jour-là. Nous habitions à l’époque un petit appartement au quatrième étage d’un immeuble vieillot situé en périphérie et dans le calme relatif de cette banlieue éloignée, la vie était douce. Mes parents ne roulaient pas sur l’or mais nous ne manquions de rien. Mon père devait avoir une quarantaine d’années et ma mère était à peine plus âgée.
Je sais maintenant qu’ils s’étaient connus sur le tard et que leurs parcours respectifs de célibataires avaient été simples et un peu tristes. Mon père, vieux garçon, n’avait auparavant jamais quitté ses parents dont je n’ai pour témoignage que deux photos jaunies et cornées. Sur l’une, un papy fier de son uniforme de facteur, tient par le guidon une bicyclette antique, sur l’autre, une grand-mère affublée d’une robe à fleur et d’un chapeau d’un autre âge sourit à l’objectif avec en arrière -plan le bassin d’un parc que je connaissais bien puisqu’il se situait toujours à quelques centaines de mètres de chez nous. Un peu timide et toujours absorbé par son travail, mon père n’avait jamais vraiment vécu de passions amoureuses. De son côté, ma mère, déçue par une seule et unique aventure, s’était sentimentalement repliée sur elle-même. Elle consacrait son temps, enfin le temps qui lui restait lorsqu’elle sortait de l’usine, à je ne sais quelles œuvres caritatives et distribuait de la nourriture aux petits vieux ou assurait de temps à autre des rondes les soirs d’hiver avec quelques-unes de ses collègues pour venir en aide aux plus démunis. Tout ça jusqu’à ce que par le plus grand des hasards, ils tombent face à face à la terrasse d’un bistrot de quartier. L’apéritif était offert par un ami commun à l’occasion de son mariage et mes parents ne se doutaient pas que ce Kir Royal allait également sceller leur union. Il avait fallu tout un concours de circonstances pour que mon père soit présent ce jour-là. Quelques semaines plus tôt, le départ forcé de mes grands-parents en maison médicalisée le laissait soudain seul dans l’appartement qu’il n’a par la suite jamais cessé d’occuper. Lui qui habituellement déclinait toute invitation avait fini par accepter celle-ci autant par amitié que pour se changer les idées. Ma mère de son côté s’était promis de ne faire qu’une courte apparition de politesse au vin d’honneur, jusqu’à ce qu’elle rencontre cet escogriffe un peu gauche qui allait devenir mon père.
[…]
Mais je m’égare. Pour en revenir à cette première fois, je disais que je m’en souvenais car effectivement, c’était le jour de ses un mois. Mes parents , qui désiraient fêter l’événement, avaient acheté je ne sais plus quelle bêtise, un petit vêtement banal en laine bleue enveloppé dans du papier de cellophane et un gâteau.
Je dois dire que ça s’est fait comme ça. Aussi facilement que si j’avais écrasé une fourmi du bout du doigt. Profitant d’un moment d’inattention de mes parents, je lui ai pincé doucement le nez, j’ai maintenu la tétine en place et en deux minutes, l’affaire était faite. Oh! Ce n’était évidemment pas pour le gâteau, à cet âge -là, de toute façon, il n’en aurait pas eu mais il faut bien avouer que quelque part, ce petit vacherin a tout de même joué un rôle dans ma décision et a fait basculer les choses car j’ai vu se profiler des années de galère, de partage, avec ce machin encombrant et gueulard. Tout ce temps pendant lequel je l’ai vu grossir dans le ventre de ma mère, toutes ces attentions qu’on lui consacrait déjà alors qu’il n’était même pas encore né. Ces simagrées par lesquelles on devait obligatoirement passer. « Écoute chérie, mets ton oreille contre mon ventre, tu vas l’entendre », « Mets ta main ici, tu vas sentir, il bouge ». C’était en quelque sorte l’aboutissement inévitable d’un ras-le-bol construit par strates successives.
Il n’était pas là que déjà il m’encombrait, m’oppressait, accaparait tout ce qui habituellement me revenait de droit. Alors imaginez ce qu’est devenu ce truc une fois pondu. Je n’avais jamais rien demandé mais on me l’imposait comme une bénédiction des dieux et j’étais soudain reléguée au rang de courtisane. Je devais m’extasier sur la finesse de ses mains, de ses pieds, ses oreilles, son nez . . . que sais-je encore, de ses fesses. Même ses merdes étaient l’objet d’extase et parallèlement, on ne me tolérait plus le moindre écart. Ce seigneur omnipotent imposait à tous et à moi en particulier un rythme de vie qui confinait à l’esclavage. Plus de bruit, plus de courses folles dans l’appartement, ou de gestes trop brusques dans son entourage. Mon existence était soudain régie par la cadence de ses repas, de ses siestes, de son humeur. Pourtant, nous avions jusqu’alors une vie douce et agréable…